Extrait
« La sonnerie de son portable retentit. Il jeta machinalement un œil asthénique sur le nom qui s’affichait et hésita à pousser le curseur gauche de l’écran tactile. C’était Véro, Véronique, enfin… Nelly, comme elle préférait qu’on l’appelle, la femme de Gino, une ex-reine de beauté de la Côte Bleue qui refusait absolument de vieillir, adepte de la chirurgie plastique, refaite de fond en comble. À quarante balais, sa teinture blonde ne lui suffisant plus, elle avait opté pour l’abdominoplastie, le body lift, la rhinoplastie et le russian lips, autant dire un musée Grévin ambulant. Qu’est-ce qu’il lui avait pris, vingt ans plus tôt, à la Nelly en pleine fleur de l’âge, d’épouser le tombeur de ces dames ? Tous leurs amis communs se le demandaient encore.
Gino et Nelly s’étaient connus un soir de juillet au Sandor’s Club, la boîte de Luminy, sur la route de la Gineste. Gino l’avait aperçue en train de voguer éperdument sur la piste au son du « Let’s Groove » de Earth Wind & Fire et, par à-coups soudains et frénétiques, lever les bras au ciel dans un abandon suggestif, comme envoûtée par les démons lubriques du panthéon disco, dans sa mini-jupe à paillettes terriblement rétro. Les lumières chaudes des HID, les reflets tournoyants des boules à facettes en miroirs et la frénésie des stroboscopes en folie avaient fait le reste. Toute cette féérie stéréotypée moulait son corps à merveille dans une sorte de transe vaudouesque, de religion dansée, de chevauchée divine dictée par quelque inspiration surnaturelle venant d’on ne sait où mais à coup sûr d’un au-delà impalpable et mystérieux. Gino, comme hypnotisé par le show débridé qu’elle offrait généreusement à l’assistance, avait littéralement fondu, cédant aux charmes irrésistibles de sa future sirène apprivoisée. Mais pour lui, toute adoration et contrat de mariage mis à part, Nelly n’était ni plus ni moins qu’une gonzesse de plus à se mettre sous la dent – ou bien destinée à Le mettre entre ses dents. »